Pourquoi dit-on "Merde" avant une représentation?
- Le jeu de l'Acteur
- 25 oct. 2024
- 5 min de lecture
Parmi les nombreuses traditions théâtrales, il en est une qui surprend souvent les novices et même les plus curieux : au lieu de se souhaiter bonne chance avant une représentation, on se souhaite « merde ». Mais pourquoi donc cette étrange expression est-elle un synonyme de vœux de succès pour les acteurs ? Cette pratique a une origine historique fascinante, remontant au 19e siècle, qui lie étroitement théâtre, chevaux et... crotin ! Regards de plus près l'histoire derrière ce terme et la manière dont il est devenu indissociable du monde des arts, notamment du théâtre et du cinéma.
Une tradition théâtrale unique
Dans les milieux artistiques, le terme « merde » est incontournable. Lorsqu'un interprète monte sur scène, ses collègues ne lui disent pas "bonne chance" ni même "bon spectacle". Non, si vous tournez en coulisses avant une répétition ou un grand spectacle, vous entendez plutôt les artistes se lancer une joyeuse "merde !" Vous pourriez penser que cela porte chance, un peu comme le « break a leg » des Anglophones. Mais en France, cette tradition a une signification bien différente.
Les origines historiques au 19e siècle
L'explication de cette coutume remonte directement au 19e siècle, une époque où la société se déplaçait encore principalement en calèches, notamment pour assister à des spectacles au théâtre. Le transport en chevaux et calèches relevait alors du quotidien, et toute une logistique s'organisait autour des lieux de rassemblement tels que les théâtres. Les spectateurs riches ou aisés se rendaient en grande pompe aux représentations, non sans leur équipement équestre imposant et... parfois encombrant.
La culture de la calèche et son impact sur les théâtres
Les chevaux, précieux moyens de transport à l'époque, étaient souvent garés à l'extérieur des théâtres pendant toute la durée des représentations, laissant les cochers près de l'entrée. Pendant que leurs propriétaires appréciaient la pièce à l'intérieur, les chevaux, eux, stationnés en file indien devant le théâtre, faisaient ce que tout animal faisait après quelques heures d'attente : ils déféquaient. Résultat : une grande accumulation de crotin à chaque représentation.
C'est là que la signification symbolique entre en scène.
Le crotin de cheval comme signe de succès
Plus il y avait de crotin devant les portes du théâtre, plus cela signifiait que de nombreuses calèches - et donc un grand nombre de spectateurs - étaient présentes. Ainsi, un théâtre devant lequel s'accumulait une abondance de crottin devenait le témoin direct de l'enthousiasme des visiteurs pour le spectacle en cours. En d'autres termes, une forte présence équivalait à un grand succès. Moins de crottin ? Moins d'audience. Tout simplement.
Alors, pour souhaiter du succès à ses collègues avant qu'ils ne commencent un spectacle, on leur souhaitait une grande affluence, ce qui revenait à leur souhaiter… beaucoup de "merde".
Symbolisme et représentations dans les arts
Avec le temps, le terme « merde » en est venu à se charger de nombreuses significations. Ce mot, si vulgaire dans d'autres situations, est devenu un symbole bienveillant dans le domaine artistique. Il est porteur d'une promesse de réussite. Résultat : dans le langage des comédiens, "merde" est devenue une sorte de talisman. Lors de l'utilisation dans des moments d'intense pression, et cela procure un effet rassurant, presque protecteur.
Logistique théâtrale et chevaux
Cette pratique, bien qu'elle puisse paraître étrange aujourd'hui, découle avant tout de nécessités très concrètes. Le théâtre du 19e siècle n'avait bien sûr pas les parkings modernes ni les moyens de transport actuels. C'était tout simplement une réalité quotidienne : un bon spectacle attirait un public à calèches, et avec lui une trace inévitable de leur passage sous forme de crottin de cheval. C'était donc un indicateur visuel simple mais parlant. Cette logistique contribue à expliquer pourquoi l'accumulation de déjections animales a fini par devenir synonyme de reconnaissance artistique.
Les chevaux : participants silencieux des événements
Les chevaux attendaient devant les théâtres pendant de longues heures, souvent dans le froid ou sous les pluies battantes. Ils étaient tranquilles, patients, mais leur présence constante et nécessaire pour transporter les bourgeois en quête de divertissement les avait rendus des témoins muets des succès théâtraux.
On imagine facilement l'apparence des rues bordées de cochers et de chevaux après chaque grande représentation. La scène devenait un reflet du succès ou non de la pièce.
L'analyse du succès selon le crottin
L'un des moyens les plus simples pour un théâtre de jauger son succès immédiat était donc de regarder l'état des rues après la représentation. Si la rue était couverte de crottin, c'était bon signe. Cette prospérité était représentée par une forme plutôt inattendue, mais très visuelle, et c'est ce qui a donné à cette expression toute son importance actuelle.
Voici pourquoi, en France, on dit "merde" pour souhaiter du succès. Parce que dans ce contexte, "beaucoup de merde" veut dire "beaucoup de gens", et donc... un grand succès !
Évolution du terme dans le théâtre moderne
Bien que les chevaux aient disparu des scènes de théâtre depuis longtemps, cette belle tradition perdure. "Merde" reste une véritable bénédiction dans le milieu artistique, que ce soit au théâtre, au cinéma, ou lors d'autres prestations artistiques. Les rituels ont changé, mais les traditions ont la peau dure. Aujourd'hui, dire "merde" à un acteur avant qu'il ne monte sur scène n'est pas seulement de coutume, mais aussi un geste de solidarité et de soutien.
Un terme qui a voyagé au-delà de la France
Il est fascinant de constater à quel point cette expression est désormais utilisée hors des frontières françaises. De la danse au cinéma en passant par l'opéra, "merde" est adoptée par les artistes du monde entier, parfois sans même savoir réellement pourquoi. C'est devenu une sorte de clin d'œil universel entre initiés du milieu artistique.
Un symbole de respect et de tradition
Cette manière de souhaiter bonne chance n'a rien d'insultant, bien au contraire. Elle témoigne d'un profond respect pour la scène et tout le processus créatif. Par ce mot unique, les artistes partagent leur espoir de réussite et se connaissent comme membres d'une même communauté. Ainsi, dire "merde" aux acteurs ou aux techniciens, c'est en fait dire "je crois en toi", d'une façon symbolique ancrée dans l'histoire.
La nouvelle génération et la continuité de la tradition
Il est intéressant d'observer que même les nouvelles générations de comédiens perpétuent cette tradition avec vigueur. Malgré l'évolution rapide du monde du divertissement, notamment avec l'apparition du cinéma et des nouvelles technologies, cette habitude reste solidement en place. Les jeunes acteurs et réalisateurs continuent de chérir cette coutume, tout en apportant parfois leur touche personnelle.
Un lien inattendu entre arts et linguistique
La naissance du terme "merde" dans cet usage est la preuve que le langage est en constante évolution. Les environnements spécifiques, tels que le théâtre et le cinéma, influencent certains aspects du vocabulaire. Ici, les conditions particulières des représentations ont conduit à la création d'une expression singulière, empreinte d'histoire et de culture.
Conclusion
Souhaiter "merde" à quelqu'un qui monte sur scène n'est donc pas un hasard. Cette expression est l'héritage vivant d'une époque où le succès théâtral s'appréciait autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la salle grâce aux calèches stationnées et à leurs traces laissées sur le bitume. Une tradition ancienne, certes, mais qui a traversé les siècles et s'est adaptée pour devenir un symbole de fraternité artistique, du théâtre au cinéma. Heureusement, aujourd'hui, on peut souhaiter "merde" sans se soucier des chevaux !
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